Y’a l’essence qui reprend un petit coup de chaud là, à plus de deux euros le litre, ça commence à faire pleurer beaucoup de monde.
La droite, qui d’habitude passe son temps à nous expliquer que les pauvres seraient moins pauvres s’ils savaient gérer leur argent, pense d’un seul coup à tous ces gens avec leurs emplois de bureau qui vivent en périphérie « parce que c’est trop cher en centre-ville… », et qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts parce qu’il faut faire les pleins des deux SUV pour aller travailler au bureau à 8km. On va pas s’appesantir dessus, on a l’habitude.
À gauche par contre… Bah à gauche y’a la gauche bobo qui s’en branle, (c’est les gens comme moi qui vivent en centre-ville et se passent déjà de voiture), la gauche bobo elle pense que tout le monde peut faire pareil, prendre les transports en commun (y’en a plein à Paris), prendre son vélo, suffit de vouloir.
Sauf que c’est pas vrai, et la gauche rurale nous le rappelle. Y’a des gens, oui, qui habitent à la campagne, pour plein de raisons différentes. Parce que c’est là qu’est leur vie depuis leur naissance ; parce c’est moins loin de l’usine et que ça leur évite en plus d’habiter dans des 14m² pourris ; parce qu’iels sont instit ou pharmacien·ne et qu’iels sont nécessaires ; parce qu’iels bossent à la ferme et qu’on met pas les fermes dans les villes. Des gens qui se lèvent à 4h du mat’ ou rentrent du taf à 23h, et qui passent leur journée debout, à trimballer des trucs lourds, à se tuer la santé à faire un taf exténuant, et qui n’ont pas forcément l’envie, le courage ou même tout simplement pas la possibilité de prendre le bus, parce qu’il y en a pas à ces heures-là ; pas forcément enthousiasmé·e·s non plus de prendre la grosse nationale à vélo pour se faire frôler par les camions. Des gens qui n’ont peut-être plus l’énergie physique après huit heures de travail crevantes. Des gens pour qui l’école est à 10km d’un côté, le travail à 15 de l’autre et l’épicerie encore ailleurs. Des gens qui habitent en haut d’une côte et qui n’ont pas le budget pour un vélo à assistance électrique en plus d’une voiture.
Et franchement, ça se comprend.
Par contre, ce qui nous semble vachement décevant, c’est pourquoi cette gauche là s’arrête dans sa réflexion à « on est coincés, dépendants de nos voitures, on a besoin d’essence pas chère » ? Pourquoi, sur ce sujet là, rester dans la doctrine individualiste, chacun-pour-sa-gueule, qu’est la voiture individuelle ? Pourquoi la gauche rurale ne milite pas pour demander aux pouvoirs publics de désenclaver les campagnes, d’améliorer le réseau de transport en commun, de coller des pistes cyclables séparées à côté de toutes les grosses routes et permettre à ses habitant·e·s de pouvoir remplacer au moins quelques trajets en voiture par des trajets à vélo où l’on ne risque pas sa vie, ou en bus sans l’attendre quarante minutes ? Peut-être parce qu’iels ont des problèmes plus urgents, peut-être parce qu’iels savent que c’est utopique dans le contexte de démolition des services publics d’espérer grand-chose sur le sujet.
On a eu un réseau ferroviaire incroyable, des transports en commun performants, qu’on a fermés petit à petit, pour des questions de rentabilité parce qu’on a poussé vers le tout-voiture, et parce que tout le monde s’est jeté sur le tout-voiture. C’est clair, c’est chiant les transports en commun, déjà faut aller à la gare la plus proche, faut attendre, faut gérer les aléas, faut supporter les autres gens qui sont là, c’est carrément plus confortable de monter dans sa voiture devant son garage et d’aller jusqu’au parking de sa destination avec sa musique dans l’autoradio. En plus, c’est plus rapide en voiture. Et suite à ça, les distances se sont encore allongées à la campagne. Des tas de petits commerces de villages ont fermé, les bus scolaires se sont raréfiés, et même si nos grands-parents s’accommodaient de plusieurs heures de trajet par jour, je ne crois pas que ce serait désirable d’y revenir.
En milieu urbain, la bagnole, c’est complètement une histoire de confort. Nos amis CSP+ banlieusards ne lâcheraient leur bagnole pour rien au monde parce que c’est plus confortable même avec toutes les alternatives, cyclables, ferrées, etc en place, eh bah, pareil, je crois que les gens qui dépendent de leur voiture à la campagne, y’en a beaucoup qui n’auraient absolument pas envie de faire autrement, même si c’était possible. Juste parce que ça fait chier de marcher jusqu’à l’arrêt de bus, parce que c’est chiant le vélo sous la pluie, ou parce que tant qu’à prendre la voiture jusqu’à la gare pourquoi s’emmerder à multi-modaler.
Et vous savez quoi ? Pourquoi pas. Pourquoi pas ? Parce que les enjeux sont vachement différents.
Parce que la différence de confort avec/sans voiture à la campagne est extrêmement plus notable qu’en milieu (péri-) urbain.
Parce qu’il n’y a pas de pics de pollution en pleine campagne.
Parce qu’il n’y a pas de problématique insoluble de bouchons à la campagne.
Parce que les gens qui vivent à la campagne c’est pas eux qui polluent grave. Ni individuellement (parce que la pollution générée augmente avec le niveau de vie), ni au total (parce qu’il y a peu de monde à la campagne).
Parce que moins une région est dense, plus ça coûte cher par personne de mettre en place un bon réseau de transports en commun.
Et oui, un jour faudra peut-être le faire, un jour faudra peut-être arrêter la voiture individuelle même à la campagne.
Mais pour l’instant, on en est encore à essayer de ramasser les fruits les plus bas, là où les gens qui ont déjà des alternatives vont y passer petit à petit, contraint·e·s et forcé·e·s par le prix du plein d’essence et par les politiques de mobilités des agglomérations : en (péri-)urbain.
Par contre, les gens qui vivent sur un salaire d’ouvrier à la campagne et qui dans les faits n’ont pas d’alternative crédible aujourd’hui, faudrait penser à ne pas les laisser sur le carreau et trouver des solutions à court terme. Même si il y en a qui sont de mauvaise foi, même s’il y en a qui ne veulent pas vraiment avoir d’alternative, même si les alternatives ne couvriront jamais 100% des besoins de déplacement. Le jour où il y en aura, assez pour que ce ne soit plus un argument entendable, ce sera différent. Mais là y’en a pas vraiment.
À long terme (parce que ça prend du temps, de l’argent, et une volonté politique qui n’est clairement pas là) : c’est sûr, il faut fournir des alternatives (pour le transport, mais aussi pour réduire le besoin de transport, en rendant enviable de ré-ouvrir des petits commerces, services, services publics dans les endroits maintenant désertifiés) ; à court terme, on peut penser à plein de trucs, mais bloquer la transition partout où elle est possible en maintenant un prix socialement acceptable des carburants sur l’intégralité du territoire, ce serait complètement con.
On a bien su protéger les locataires des zones les plus attractives de la gloutonnerie de leurs propriétaires, avec les zones tendues. On pourrait envisager des « zones de déplacement tendues », ouvrir droit à des crédits d’impôts en dessous d’un certain seuil de revenu pour les gens qui y habitent, etc. Oui il y aurait peut-être quelques micro-pourcents de gens qui tricheraient mais je pense qu’on s’en fout.
Mais bon. Avec toute la droite en mode vroum-vroum et une bonne partie de la gauche sur le même logiciel, je pense qu’on va surtout aller droit dans le mur collectivement. Bon OK le logiciel à gauche est un peu différent, on rappelle aussi qu’il faudrait saisir les yachts et les jets privés des 0.1%, on est beaucoup plus ambitieux.