Les freins psychologiques et réels au vélo en ville

Il m’arrive régulièrement de parler de transport, et plus spécifiquement de vélo, avec des gens, soit des ami.e.s, soit des inconnu.e.s sur les réseaux sociaux. Peut-être parce que j’apprécie beaucoup me déplacer à vélo, vous avez pu le remarquer.

Souvent ces personnes se rendent bien compte que se déplacer en voiture, c’est inoptimal au mieux, horripilant au pire. Iels disent perdre un temps fou dans les bouchons, que ça leur prend une heure vingt de faire dix kilomètres, que c’est stressant.

Mais généralement, iels considèrent c’est de la faute des politiques de transport. Il faudrait plus de routes, plus de voies sur la rocade, etc. Factuellement, un siècle d’automobile a prouvé maintes et maintes fois qu’en matière de transport, la demande suit l’offre, et que lorsqu’on ajoute de la capacité de transport routier, plus de véhicules l’utilisent, et l’on se retrouve dans la même situation qu’auparavant : dans un bouchon, avec plus de voitures. Certain.e.s utilisent une analogie qui me plaît bien : ajouter des routes pour lutter contre l’encombrement routier, c’est comme desserrer sa ceinture pour lutter contre l’obésité.

Bref. À certain.e.s, lorsque je suis motivé, de bonne humeur, ou que j’ai l’impression qu’iels sont réellement dans une optique de résolution de problème, je leur suggère d’utiliser leur vélo pour leurs petits ou moyens trajets : en dessous de dix kilomètres, soit trente à quarante minutes de vélo sans trop forcer, c’est absolument envisageable et les avantages sont objectivement là : c’est plus rapide, c’est plus fiable. Un troisième avantage subjectif : c’est plus agréable (je dis subjectif, car je sais que certains sont allergiques au vélo. Les goûts et les couleurs !)

Mais, bien souvent, ma suggestion se heurte à un barrage de DCA de contre-arguments, dont le but est de justifier qu’une heure de vélo par jour, décidément, ce n’est pas envisageable. C’est à ces arguments que j’arrive à distinguer les personnes de bonne foi, celleux qui ont réfléchi ou réfléchissent activement à trouver des solutions, et celleux qui sont là pour se plaindre, mais ne comptent pas changer leurs habitudes, attendant plutôt qu’on les résolve à leur place.

Je vais commencer par citer les arguments qui ressortent le plus souvent et que je considère comme fallacieux, et je vous donnerai ensuite ceux que je considère comme valides. Sans faire durer le suspense : les arguments valides, je ne les entends presque jamais.

Tout ceci s’applique aux personnes qui, comme moi, vivent en ville ou en périphérie proche. Pour les campagnes et les déserts comme la Creuse, le Gers, où les distances s’allongent beaucoup et la densité baisse beaucoup, évidemment, le vélo est beaucoup moins facilement une solution, mais de toutes façons, dans ces cas là, les problèmes de congestion sont quasiment inexistants.

Tout d’abord il y a les arguments organisationnels :

  • Comment faire pour amener les enfants à l’école ? Bon. J’ai remarqué en observant mes enfants et ceux des autres qu’ils sont à peu près tous dotés d’une paire de jambes et qu’elles sont tout à fait utilisables pour aller à l’école. Soit à pieds, soit à vélo. En zone urbaine dense, tant que les enfants sont scolarisés dans la carte scolaire, les écoles sont proches du domicile. 500m ou 2km, ça se fait vite, à vélo, même avec des enfants. Lorsqu’ils sont petits, une draisienne, un siège bébé, un vélo cargo, tout cela est non seulement possible, mais aussi agréable. Pour les enfants scolarisés hors carte scolaire, je considère que celleux qui refusent d’utiliser les infrastructures mises à leur disposition perdent le droit de se plaindre que les infrastructures sont inadaptées.
  • Comment faire pour les courses ? Chacun.e a sa propre façon de faire les courses, c’est sûr. De mon côté, si j’ai des choses à acheter en rentrant du travail, ce sont « les trucs qui manquent » (du pain, un ingrédient ou deux du repas du soir, etc.), pas « le plein du mois ». Cela rentre facilement dans une ou deux sacoches, ou un sac à dos. Bonus : à vélo, on peut se garer au plus près des commerces et on gagne du temps. Je connais des gens qui font les grosses courses du mois après le travail (parfois en magasin, parfois par Chronodrive ou assimilé). Mais je ne vois pas en quoi ça empêche d’utiliser son vélo le reste du temps. On peut très bien envisager de prendre la voiture une fois de temps en temps quand cela se révèle utile. Personne n’a dit qu’une fois qu’on a décidé d’aller bosser à vélo, on est censé brûler sa voiture devant une permanence d’EELV.
  • Après il y a celleux qui pensent aux autres : Comment faire pour déposer sa grand-mère invalide, comment faire quand on est artisan-plombier avec cinq radiateurs et une chaudière à installer ? Excusez-moi, mais je ne vois pas le rapport, on n’est pas en train de parler d’interdire totalement l’utilisation de véhicules motorisés, si ? On est juste en train d’envisager, soi-même, d’utiliser un vélo pour faire un relativement court trajet à vide ou presque (une gamelle pour le midi, un ordinateur portable, … a-t’on vraiment besoin d’une voiture pour transporter cette lourde charge ?)

On trouve ensuite les arguments météorologiques :

  • Comment faire quand il fait chaud, on transpire ? Ah oui. Tout le monde transpire quand il fait chaud. Sauf condition médicale, la sueur, ça sèche, et ça ne sent pas mauvais quand on est propre. Certain.e.s ont un travail où il faut avoir l’air « respectable » face aux clients, costard ou tailleur par exemple. On peut envisager de se changer, peut-être. Ou de rouler moins vite, ou d’utiliser un VAE (vélo à assistance électrique) pour se donner moins chaud.
  • Comment faire quand il fait froid, on a froid : Alors justement non, ou alors pas longtemps, juste au début. Ce qui est pratique avec l’effort physique, c’est qu’on peut le doser, et si le besoin de se réchauffer apparaît, on peut appuyer plus fort sur les pédales.
  • Comment faire quand il pleut, ça mouille : Personnellement, je ne suis pas en sucre et ne fonds pas sous la pluie. D’autre part, on trouve assez facilement, chez Decathlon ou ailleurs, des vêtements imperméables qui permettent d’éviter d’être mouillé. C’est une avancée majeure de notre civilisation qui date du XIIIe siècle ou avant, selon ce que l’on entend par « imperméable ». On peut utiliser une veste, ajouter un sur-pantalon pour les grosses pluies, ou bien une cape de pluie, les solutions sont variées et il y en a pour tous les goûts.

Enfin, une dernière catégorie d’argument que je résume souvent par « le vélo c’est fait pour se promener à la campagne », et qui sont des contre-vérités monumentales.

  • C’est dangereux le vélo, en ville. Petite parenthèse lexicale : non. Ce sont les voitures qui sont dangereuses, le vélo, pour sa part, est risqué, dans une certaine mesure : le deux-roues motorisé est beaucoup plus source d’accidents graves et mortels. Sur le fond, c’est faux aussi : les accidents graves et mortels de cyclistes ont lieu, en général, à la campagne, là où les voitures roulent vite. Il y a beaucoup de statistiques sur le sujet.
  • Le vélo, c’est pour les bobos qui se promènent, je travaille moi, je suis pressé. On a déjà établi que quand on est pressé.e, en ville, la voiture est la pire solution, la plus lente et la moins fiable ! Personnellement, je vais travailler à vélo parce que je suis pressé !
  • « Oui mais les vélos ils grillent les feux rouges ». À ce niveau là d’argumentation, retournez boire un pastis au PMU. Je ne vois pas en quoi le comportement de certain.e.s cyclistes peut valider ou invalider votre propre choix de mode de transport. D’autant qu’en regardant, des entorses plus ou moins grave au code de la route, tout le monde en fait : à pied, à moto/scooter, en voiture, en camionnette, en camion. Et plus le véhicule est gros et lourd, plus ces entorses mettent les autres en danger ; plus il est petit et léger, plus elles ne mettent que soi-même en danger. Youtube fourmille de vidéos de piétons, cyclistes et motards documentant ça. Pensez aussi à vous mettre à jour sur le code de la route : le double-sens cyclable est autorisé et généralisé dans les zones 30 depuis 2008, et le CLPCF (Cédez-le-passage cycliste au feu), qui permet de passer au feu rouge prudemment et sans priorité dans certaines directions, depuis 2012.
  • « Oui mais si ça monte ». Rien n’empêche de ralentir et de monter doucement. Une côte à 8km/h, c’est moins fatiguant qu’à 15, et ça passe presque aussi. Les plus fortuné·e·s peuvent aussi se tourner vers un vélo à assistance électrique. C’est un budget, mais il y a des aides, et ça s’amortit bien plus vite qu’une voiture.

Voilà qui conclut ma petite liste personnelle des arguments dépitants pour expliquer que décidément, non, c’est pas possible de faire ses petits trajets utilitaires à vélo.

Par contre, de ma propre expérience, j’ai tiré quelques arguments valables qui peuvent faire hésiter. De manière amusante, je ne les ai jamais entendus que de la bouche de personnes qui ont déjà essayé.

  • Comment faire quand il y a du vent ? Le vent, c’est la condition météo pénible à vélo. À Toulouse, quand on se prend trois ou quatre jours de vent d’autan dans la tronche, c’est un peu démotivant. Personnellement, dans ce cas là, je roule moins vite. On peut aussi décider, ces jours là, de prendre sa voiture ou les transports en commun. Encore une fois, ce n’est pas parce qu’on a décidé d’aller bosser à vélo qu’on a signé de son sang un contrat exclusif avec sa bicyclette.
  • Comment faire quand on est malade ? Ugh. C’est pénible, le vélo, malade. On n’avance pas, on a le nez qui arrive à être bouché et à couler en même temps, les yeux qui pleurent, la gorge qui gratte et les poumons en feu. On peut là aussi, décider de changer de mode de transport le temps que ça aille mieux. Ou de se faire arrêter. Ça évite de contaminer les collègues. (Personnellement, il faut que je sois vraiment mal pour me faire arrêter, et je pense ne pas être le seul dans ce cas : quand on a une convention collective de merde, et 10% de son salaire sous forme d’heures sup’, un arrêt de travail de trois jours, ça fait 25% de salaire en moins à la fin du mois grâce à la carence et aux heures sup’ qui sautent. Tout le monde ne peut pas se le permettre.) UPDATE 2020, plus personne ne va au travail malade.
  • J’ai peur de me faire voler mon vélo : en effet, le vol est un fléau qui n’a pas beaucoup de solutions efficaces à 100%. Pour moi, l’idéal est de pouvoir rentrer son vélo dans le garage/couloir/bureau. Si non, les mesures les plus fiables contre le vol, c’est : un ou deux bons antivols (des U) ; des axes de roues antivols, se garer dans un endroit passant à côté d’autres vélos moins bien attachés, et une option vélo dans l’assurance habitation qui couvre les vols hors domicile.
  • Les crevaisons. C’est tellement pénible de crever, et c’est l’une des rares causes d’un retard de dix à quinze minutes. Là aussi, il y a des solutions ou plutôt des « trucs » pour mitiger le problème : des pneus anti-crevaison comme ceux des Velib par exemple, ou bien apprendre à réparer une crevaison et garder un nécessaire dans le sac/sacoche. L’idéal étant de se trimballer une chambre à air de secours afin de s’épargner le rustinage au bord de la route. Au pire on peut toujours accrocher son vélo et prendre les transports en commun, et résoudre le problème le soir. Mais honnêtement, la crevaison, c’est le truc le plus pénible.

Voilà, je crois que j’ai fait le tour de ce que j’entends le plus souvent… Si j’en ai oublié, si vous avez des arguments qui vous agacent ou au contraire des arguments valides, je suis tout ouïe dans les commentaires !